Comme dit le proverbe publicitaire : « Sans maîtrise, la puissance n'est rien ». Les publivores auront certainement reconnu le slogan de la marque de pneumatiques Pirelli. Mais, cette maîtrise, doit-elle émaner du fabricant de pneus ou du concepteur de la voiture ? Pirelli semble penser qu'il s'agit de son rôle à lui. Qualcomm pense en revanche que cette mission est dévolue à tous les partis : le fondeur de chipset, le fabricant de mobiles et certainement le développeur de système d'exploitation.
Dans « l'affaire » du Snapdragon 810, qui secoue le marché du smartphone haut de gamme depuis plus de six mois maintenant, autant dire que le fondeur souhaite que les torts soient partagés. Et que chaque élément de la chaîne travaille à ce que chaque consommateur soit satisfait de son achat. Car, in fine, le plus important, c'est bien la satisfaction du client. De tous les clients : que ce soit l'utilisateur final ou le constructeur de smartphones. Car même si le Snapdragon 820 est en approche, il n'est pas encore tout à fait là.
Jean Varaldi, Senior Director Business Development chez Qualcomm, revient pour nous sur la polémique Snapdragon 810 ainsi que sur les ambitions du fondeur américain qui dépassent largement le « simple » marché des smartphones.
Comment se porte Qualcomm ?
L'entreprise continue de progresser. Nous avons vendu l'année dernière 900 millions de composants, lesquels sont répartis entre les chipsets et les modems. La branche semi-conducteurs représente aujourd?hui les deux tiers du chiffre d'affaires du groupe, le solde étant réalisé par la branche qui gère les brevets. Notre activité composants est aujourd?hui tirée par les produits à destination des smartphones, des tablettes et des produits nomades. Cependant, 10 % du chiffre d'affaires de cette branche émanent des « marchés adjacents », c'est-à-dire l'Internet des objets connectés. Cela regroupe les produits pour l'automobile, la domotique, les accessoires connectés, les produits de santé ou encore les mobiliers urbains.
Le marché mondial de la téléphonie est-il toujours en croissance, selon vous ?
Oui, il est toujours en pleine croissance, notamment grâce aux pays émergents comme la Chine. En Europe, le marché de la téléphonie est stable dans son ensemble. Le smartphone observe une légère croissance, tirée par les segments premium, milieu et haut de gamme. Il y a en revanche une stabilité dans les prix de vente qui montre que les consommateurs profitent de l'arrivée de terminaux milieu de gamme qui sont aussi performants que des modèles haut de gamme de l'année dernière.
Ne participez-vous pas à cette course aux performances ?
Si. Et nous pensons que le smartphone va devenir de plus en plus puissant. Mais aussi de plus en plus intelligent, avec des technologies cognitives telles que Zeroth, la plate-forme logicielle que nous avons présentée à Barcelone. Et ce n'est qu'un exemple de domaines sur lesquels nous travaillons, car nous pourrions également évoquer la photographie où des innovations sont encore à apporter pour rendre les téléphones encore plus intelligents. Notre discours n'est donc pas seulement axé sur la puissance pure, mais sur la puissance au service d'usages avancés. Une puissance qui doit rester à bord du smartphone et non pas s?échapper dans le cloud.
Nous avons suivi certaines de vos initiatives sur la Chine, comme le partenariat avec Xiaomi. Quelle y est votre ambition ?
Notre ambition est à l?échelle de ce marché, lequel s'est considérablement ouvert ces dernières années. Et nous y travaillons notamment depuis l'ouverture des réseaux 3G et 4G pour accompagner les opérateurs et les constructeurs. Notre travail consiste d'une part à les aider à améliorer leurs produits, et d'autre part à se préparer à ce que leur activité dépasse les frontières de leur pays. Nous sommes très sensibles à la qualité des produits chinois et nous discutons avec les fabricants pour qu'ils comprennent que la qualité à un coût.
Sont-ils sensibles à ce discours ?
Pour les plus importants, oui. Certaines marques sont déjà présentes partout dans le monde. Et d'autres comprennent l'importance d'avoir un composant capable de se connecter en 4G quel que soit le pays. Bien sûr, la concurrence est forte et le prix est un argument de poids. À chaque prospect et client, nous plébiscitons une approche horizontale du marché : à chacun son métier, celui de Qualcomm est de créer des chipsets en investissant lourdement en R&D chaque année. Et nous ne referons pas de smartphones. Des grands fabricants ont une vision verticale où ils maîtrisent pratiquement toute la chaîne. Ce n'est évidemment pas la nôtre.
Venons-en au sujet du moment : le Snapdragon 810. Quel est le discours officiel ?
La position de Qualcomm au sujet du Snapdragon 810 est que ce chipset fonctionne exactement comme nous l'avons spécifié à nos partenaires. Lors des étapes de développement, nous n'avons constaté aucun défaut de fonctionnement. L?émission de chaleur du composant est normale. Il ne faut pas s?étonner s'il y a une augmentation de la température quand il est sollicité. En outre, le chipset n'est pas le seul élément susceptible de chauffer dans un smartphone. L'amplificateur de puissance du modem et le chipset d'alimentation qui gère la batterie sont généralement mis en cause également. N'oublions pas non plus que le design du téléphone, la composition de la carte mère, l'espacement entre les composants ou encore les matériaux de la coque, sont également à prendre compte, car ils agissent sur la dissipation de la chaleur.
Le Sony Xperia Z3+ embarque le chipset Qualcomm Snapdragon 810
Le problème n'est donc pas simplement lié au Snapdragon 810 ?
Selon nos constatations, les smartphones concernés chauffent dans leur globalité. Il est donc difficile de tirer des conclusions. Nous travaillons naturellement avec les constructeurs pour émettre des mises à jour pour corriger ce problème, que ce soit avec LG, HTC ou encore Sony. Car notre objectif est que le client final soit satisfait de son produit quand il l'utilise. Faut-il encore que les constructeurs ne s'empressent pas de commercialiser leurs terminaux avant que ces optimisations soient terminées et implémentées.
OnePlus a déclaré intégrer une version 2.1 du chipset à son OnePlus 2. Est-ce une autre configuration du composant ?
Non. Au niveau hardware, il s'agit toujours du même chipset. En revanche, nous travaillons avec OnePlus, comme avec tous autres les fabricants, pour développer un firmware adapté à chaque terminal. Un processeur évolue avec le temps et les différentes versions logicielles sont faites pour optimiser le hardware.
La polémique porte-t-elle préjudice à l'activité de Qualcomm ?
La commercialisation du Snapdragon 810 se porte bien. De nombreux fabricants ont annoncé que leurs flagships seraient animés par le chipset. Donc, la polémique ne semble pas avoir d'impact direct sur l'activité de Qualcomm. Il n'en reste pas moins que ce n'est pas très agréable. Nous pensons que cette polémique finira par se tasser rapidement.
Quand prendra fin le cycle de vie du Snapdragon 810 ?
Le cycle de vie commercial d'un chipset dépend des commandes des constructeurs. Cependant, nous constatons, en moyenne sur le haut de gamme, que la période est comprise entre 12 et 18 mois à partir du moment où il entre en production de masse jusqu?à la fin de son cycle de commercialisation. Le Snapdragon 801, par exemple, est aujourd?hui toujours en vente, même si ce composant est fourni « à la demande ». Nous nous attendons donc à vendre des Snapdragon 810 encore quelques mois. Sur les autres gammes, plus le chipset est économique, plus son cycle de vente est long. Un modèle tel le Snapdragon 410 est commercialisable au moins 18 mois. Notez que le passage de l'architecture 32-bit à 64-bit a accéléré la fin de la commercialisation de certains composants. Le Snapdragon 805 devrait s'arrêter plus rapidement que le 801.
Le Snapdragon 820 prendra bientôt le relais. Pensez-vous qu'un modèle animé par celui-ci sera sous le sapin cette année ?
Il y a un délai entre la livraison des échantillons de travail (« samples ») auprès des constructeurs et la mise en vente d'un modèle équipé. Durant ce laps de temps, la marque établit la configuration de son smartphone, optimise le système, réalise ses tests, puis lance la production de masse de son téléphone. Nous ne savons pas si un smartphone équipé du Snapdragon 820 sera commercialisé cette année. Officiellement, nous livrons les premiers échantillons dans le courant du second semestre 2015.
Le stand Qualcomm au MWC 2015
Vous avez annoncé le Snapdragon 820 à Barcelone et pourtant sa composition reste obscure. Pourquoi en savons encore si peu à son sujet ?
Habituellement, nous communiquons sur nos chipsets quand leur échantillonnage est proche. Nous avons pris la décision de communiquer sur le Snapdragon 820 dès le mois de mars, parce que c'est un produit très important pour Qualcomm : il s'agira de notre premier composant haut de gamme 64-bit avec nos propres coeurs, appelés Kryo. Ce sera également la première plate-forme à intégrer Zeroth. Enfin, nous souhaitions profiter de l'exposition du Mobile World Congress.
Pourquoi les dates de lancement des prochains Snapdragon sur les gammes inférieures n'ont-elles pas été révélées ?
Les Snapdragon 415, 425 et 620 ont été officialisés il y a plusieurs mois. Ils devraient être dans des terminaux commerciaux d'ici la fin de l'année. Nous n'avons pas donné plus de détails sur leur disponibilité en raison de la très forte concurrence qui règne sur les segments de marché volumique, notamment l'entrée de gamme. Il est important de conserver le maximum d'informations confidentielles à l'approche du lancement commercial. Sachez cependant que tous les fabricants de terminaux connaissent notre roadmap...
Propos recueillis par Samir Azzemou et Stéphane Deschamps.