Chaque année, c’est le marronnier high-tech : un reportage nous rappelle que les conditions de travail dans les usines des sous-traitants chinois d’Apple sont particulièrement difficiles. Si Foxconn est la cible privilégiée des journalistes, mais également des ONG qui luttent pour une amélioration significative de la situation, ce nouveau document audiovisuel, présenté hier soir par la chaîne britannique BBC, concerne Pegatron. Des semaines d’investigation en caméra cachée concentrées en 3 minutes. Ce qui est bien assez pour raconter une histoire passionnante, mais triste. Nous vous conseillons de regarder la vidéo, ci-dessous.
Des questions à choix unique
Plusieurs journalistes ont travaillé sous couverture pour réaliser ce reportage. Ils ont simplement endossé le rôle d’ouvrier à la recherche d’un emploi saisonnier. De l’embauche aux lignes de production, la caméra cachée a filmé tout le processus d’intégration. Nous y apprenons par exemple que les dirigeants et recruteurs indiquent explicitement les réponses à donner au questionnaire obligatoire d’embauche. Inutile d’attendre un retour de Pegatron si un candidat coche la mauvaise case. C’est le cas par exemple de la question sur le travail debout ou assis, ou les quarts de jour ou de nuit. Évidemment, seuls sont pris ceux qui acceptent d’opter pour les bonnes « options ».
Sans parler également de la confiscation systématique de la carte d’identité de chaque travailleur, soi-disant pour vérifier que chaque employé n’est pas immigrant clandestin (ce qui a été le cas par le passé). Seulement, Pegatron ne rend pas la carte, prenant virtuellement le salarié en otage.
Des bancs de test qui deviennent des dortoirs
Cela continue ensuite au coeur de l’usine. Incroyable scène où les ouvriers sont tellement fatigués qu’ils dorment sur leur plan de travail. Des secteurs entiers où aucun employé n’est pas dans un état de fatigue considérable. Un des journalistes sous couverture affirme avoir travaillé au-delà de la limite des 60 heures par semaine (c’est-à-dire plus que la limite contractuelle autorisée par Apple), pendant 18 jours sans un seul jour de repos. Faire une sieste improvisée est donc compréhensible.
Le reportage conclut évidemment sur des déclarations officielles d’Apple et Pegratron. Les deux affirment que des enquêtes internes seront menées pour confirmer ou infirmer les révélations de la BBC. Le sous-traitant chinois ajoute qu’il portera plainte si les conclusions de son enquête sont diffamatoires. Évidemment, la chaîne britannique ne risque rien : ce n’est pas comme si c’était la première fois que de telles informations sont relayées dans les médias.
Apple en demande-t-il trop ?
Ce qui est étonnant, c’est qu’elle persiste dans le temps. Alors qu’Apple a déjà reçu des amendes et des plaintes de la part d’ONG sur le respect des conditions de travail dans les usines, notamment depuis qu’une douzaine de salariés de Foxconn se soient suicidés en 2010, la firme de Cupertino semble à chaque fois tomber des nues. Bien sûr qu’un contrat juteux avec Apple n’est pas refusable, même dans des conditions qui sont certainement difficiles (il suffit de se rappeler de l'affaire GT Advanced Technologies). Bien sûr que les sous-traitants font tout pour conserver un tel partenariat, quitte à outrepasser les règles établies. C'est se leurrer que de penser le contraire.
Est-ce donc une tromperie de Pegatron, un refus de voir la vérité de la part d’Apple, ou une leçon d’hypocrisie ? Car comme par hasard, le groupe américain envoie chaque année des commissaires chargés de surveiller les usines de fabrication au printemps, quand la demande a déjà bien baissé (la période des fêtes étant passée). Alors oui, Apple améliore certainement le niveau de vie des Chinois en leur donnant du travail, mais guère plus.
