Grooveshark fut l’un des premiers services de musique en streaming sur Internet. Lancé en 2006, il a été l’un des principaux défenseurs de la musique gratuite sur le Web. Et sous la pression des ayants droit des morceaux qu’il proposait sans abonnement ni publicité, il a fermé ses portes le 30 avril dernier. Aujourd’hui, un message laconique sert d’accueil à tous les habitués et les curieux. Un message qui explique les tenants et les aboutissants d’une affaire qui fait actuellement grand bruit sur la Toile.
De la musique gratuite et sans publicité
Grooveshark était un service américain de streaming musical, à l’image d’un Spotify, d’un Deezer ou d’un Pandora. Contrairement à ces derniers, il ne monétisait pas son audience : pas de publicité, pas d’abonnement, pas de restriction. Comment était-ce possible ? Grooveshark se positionnait comme un facilitateur d’échange entre Internautes. Il mettait à disposition un serveur. Aux Internautes d’y échanger ce qu’ils souhaitaient, avec le fouillis habituel des bases de données laissées en gestion à une communauté, dont chaque membre à sa propre nomenclature. Mais il y avait un point positif : grâce à cette liberté, il était aussi possible d’y trouver des morceaux qu’aucun autre service concurrent ne propose aujourd’hui.
Seconde conséquence, Grooveshark ne payait pas les ayants droit pour chaque morceau de musique présent. S’appuyant sur le Digital Milennium Copyright Act, il était, comme tous les hébergeurs « temporaires » (1fichier.com, Uploaded, Uptobox, Mega, mais aussi YouTube, Soundcloud, Dailymotion, etc.) soumis à certaines règles en échange de ce service à la limite du piratage : chaque ayant droit était en mesure de demander à Grooveshark l’effacement pur et simple du fichier. Ce qu’il faisait, bon gré mal gré. Grâce à la loi américaine, le site n’a jamais été inquiété, alors que les principales majors du disque se battaient pour sa fermeture.
Un mélange des genres impossibles
Comment ont-elles alors réussi ? Simplement parce qu’elles ont découvert que les gestionnaires du service ont eux-mêmes posté des morceaux de musique en tant que particuliers. Mélange des genres impossibles dans ce cas de figure : la protection du DMCA éclatait au moment où la justice fédérale a statué leur culpabilité pour utilisation sans autorisation de milliers de morceaux. Montant de l’amende : 736 millions de dollars.
Évidemment, il était impossible de payer cette somme. Depuis le jugement, qui date de septembre, Grooveshark a souhaité parvenir à un accord « à l’amiable ». Première conséquence de ce dernier, la fermeture du site et l’effacement de l’ensemble des fichiers soumis au droit d’auteur. Mais ce n’est pas tout : les fondateurs ont également cédé la propriété intellectuelle du site et des applications mobile, la gérance du nom de domaine et des bases de données, ainsi que l’ensemble des brevets et des marques. Bref : tout.
Un Napster moderne ?
Dans son message sur le site, Grooveshark explique avoir fait une erreur, malgré toutes les bonnes intentions derrière les actes, et s’en excuse « sans réserve ». Les fondateurs affirment avoir lancé le service à une époque où aucune offre de musique en ligne n’était assez bonne à leurs yeux. Aujourd’hui, ils estiment que la concurrence « amicale » est largement suffisante pour les usagers de son ancien service. Ils les renvoient d’ailleurs nommément vers Spotify, Deezer, Google Play, Beats Music, Rhapsody et Rdio. Mais pas iTunes Radio. Peut-être considèrent-ils qu’Apple est suffisamment représenté par Beats.
La conclusion de cette histoire, qui rappelle celle de Napster (ressuscité sous la forme d’un site de streaming musical de seconde zone accessible en France via SFR, par exemple), sonne évidemment d’une manière très différente en ce début d’année 2015. Car dans quelques mois, un nouveau champion de la musique payante en streaming devrait être mis en ligne : la nouvelle version de Beats Music, fusionné avec iTunes et les services musicaux d’Apple. Et, coïncidence ou non, la firme de Cupertino se bat depuis plusieurs mois auprès des autorités américaines (FTC et ministère de la Justice) et des majors pour brider l’offre musicale gratuite sur Internet. Le nouveau Beats est attendu en juin, lors de la prochaine édition de la conférence WWDC de San Francisco.