Prenez un smartphone entrée de gamme sous Android. Remplacez le système d'exploitation de Google par celui d'un nouvel entrant qui a eu toutes les difficultés à convaincre les constructeurs. Et vous obtenez l?Aquaris E4.5 Ubuntu Edition, un smartphone vendu 170 euros sans subvention opérateur et présenté par les deux partenaires bq et Canonical.
Une association qui aurait pu faire des étincelles : d'un côté le « Wiko ibérique », capable d'offrir des configurations honnêtes pour un prix serré. De l'autre, le grand spécialiste de Linux et chantre de l'open source, soutenu par une communauté d'irréductibles développeurs. Et autant vous dire tout de suite, le résultat fait plutôt l'effet du pétard mouillé que du feu d'artifice.
À l'image des nombreux retours négatifs en Inde sur le Samsung Z1, premier smartphone sous Tizen, la première raison de ce faux départ est la fiche technique clairement en dessous des standards actuels, même dans cette gamme de prix. Comment justifier qu?à 170 euros, il n'y ait ni écran 720p, ni connexion 4G, ni chipset 64-bit (et ce n'est pas ce qui manque chez MediaTek) ? Impossible en effet de comparer ce smartphone à un Moto G ou même un Moto E 4G. Il est décevant de voir que les constructeurs sont toujours très frileux avec un nouvel OS. Car si Ubuntu est vraiment nouveau, le mobile est vraiment... vieux. Passons en revue la fiche technique :
- Écran IPS qHD de 4,5 pouces (résolution de 240 points par pouce), protection en verre renforcé Dragontrail d'Asahi Glass
- Chipset MediaTek MT6582 quad-core cadencé à 1,3 GHz
- Processeur graphique ARM Mali 400 MP2 cadencé à 500 MHz
- 1 Go de mémoire vive
- 8 Go de stockage interne, extensible par microSD
- batterie 2150 mAh non amovible
- compatible 3G+, WiFi n, Bluetooth 4.0, GPS
- capteur 8 mégapixels, double flash LED, compatible Full HD en vidéo
- webcam 5 mégapixels
- double port carte SIM
- Ubuntu Touch (version 14.10)
- poids : 123 grammes
- dimensions : 137 x 67 x 9 mm
De nombreux points nous gênent dans cette fiche technique, notamment vis-à-vis de la concurrence. Modeste, oui. Dépassé, aussi. À l?heure où la concurrence sur le segment entrée de gamme fait rage, entre Microsoft qui multiplie les nouveaux modèles, Motorola qui tente d'imposer un nouveau standard sous la barre des 200 euros et les nombreux acteurs chinois qui montrent une ambition décomplexée, bq et Canonical donnent l'impression d'un décalage avec la réalité du marché. Et cela commence dès la prise en main.
Un design loin d'être parfaitement adapté à l'OS
Visuellement très proche des Aquaris de l'année dernière, dont l?Aquaris E5 4G testé dans nos colonnes cet hiver, l?Aquaris E4.5 reprend les lignes carrées et peu fines de l'ensemble de la gamme de l?Espagnol. Comme avec son grand frère, l?Aquaris E4.5 est un modèle qui donne une impression de solidité au détriment d'un design assez banal (même si, en réalité, il doit avoir été murement réfléchi). La structure du mobile est identique, avec la dalle à l'avant surmontée d'une zone tactile qui est ici désactivée puisqu?Ubuntu n'en fait pas l'usage. Conséquence : la taille de la bordure sous l?écran est exagérément grande. C'est évidemment une conséquence de la réutilisation d'un modèle Android pas tout à fait adapté. Il aurait mieux valu proposer un modèle Android où les touches de navigation sont intégrées à l'interface, comme chez Motorola.
À l'arrière, aucune surprise : capteur photo en haut à gauche avec le flash double LED et châssis en polycarbonate mat qui ne conserve pas les empreintes des doigts. Sur les tranches, nous retrouvons la même configuration que sur l?Aquaris E5 : le port microUSB et le haut-parleur en bas, les deux tiroirs pour les cartes SIM sur la gauche, les boutons matériels (volume et mise en route) sur la droite, port microSD et jack 3,5 mm en haut. Vous noterez que sur l?Aquaris E4.5, le port microSD n'est pas un tiroir, mais une simple trappe où il faut pousser la carte mémoire jusqu?à enclenchement d'un mécanisme à ressort.
Une impression en dessous des standards du marché
Une fois en main, le mobile offre une légèreté étonnante compte tenu de son aspect qui donne visuellement plutôt l'impression du contraire. Si la construction du smartphone, assez classique, est plutôt bonne, sans jeu apparent, l?Aquaris E4.5 n'apporte aucune sensation premium à sa préhension. Lors du test de l?Aquaris E5, nous avions fait le même constat. Cela se ressent plus encore ici. D'autant que la dalle de verre Dragontrail est clairement moins qualitative que la Gorilla de Corning. Elle manque de glisse sous les doigts et nous la soupçonnons d?être l'une des causes de la visibilité réduire de l?écran en pleine lumière.
Car l?écran, dont la résolution est de 240 points par pouce, n'est pas non plus un point fort de ce smartphone. Cette dalle IPS ne profite pas, comme l?Aquaris E5 du rétroéclairage Quantum Color +. De fait, l'image affichée est bien plus fade. Si le taux de constrate est dans la moyenne, la luminosité est un peu plus faible et les couleurs manquent de peps. Les angles de vision ne sont pas très ouverts. Et évidemment, les pixels se voient à l'oeil nu, ce qui participe à l'impression mitigée.
Ubuntu Touch : encore du chemin à parcourir
bq n'est pas responsable de tous les torts dans cette association, même si nous aurions préféré que le constructeur ibérique choisisse dans son catalogue un modèle un peu plus ambitieux (comme l?Aquaris E5 HD) pour ce premier partenariat avec Canonical. Ce dernier propose en effet un système d'exploitation très simple d'utilisation, mais qui ne semble pas avoir tiré les enseignements des erreurs de ses prédécesseurs, comme Bada, WebOS, Windows Phone, BlackBerry OS 10, les récents Tizen et Firefox OS, mais aussi Android lui-même.
Panneaux Aujourd'hui et Applications. A droite, la gestion des panneaux.
Leur point commun ? Tenter d'offrir une nouvelle expérience sur le mobile avec une gestuelle unique et, parfois, une simplification à l'extrême qui paradoxalement complique la première prise en main. En bousculant les habitudes (instaurées par les acteurs désormais établis), Ubuntu rend l'accès à certaines fonctions confuses. Il n'y a pas exemple plus d'emplacement équivalent à un bureau où il est possible de s'organiser et de s'approprier l'environnement.
Une succession de panneaux thématiques
L'accueil du mobile se résume à une application fourre-tout appelée « aujourd?hui ». Elle réunit une demi-douzaine de tableaux thématiques et souvent redondants. Le premier est un résumé de la journée (calendrier, météo, appels et messages récents, actualité). Le second s'appelle « Nearby » et propose de la météo, quelques bonnes adresses avec Yelp, des concerts, des photos des monuments avec Flikr.
Le troisième recense toutes les applications. Vous remarquerez, comme sur Firefox OS, une profusion d'applications préinstallées. Si certaines d'entre elles en sont vraiment, les autres, qui constituent la majorité, ne sont que des liens vers des pages Web en HTML5. Vous remarquerez aussi un peu de plagiat de côté de quelques icônes, comme celle de la calculatrice qui nous rappelle étrangement celle d'iOS. C'est par ce troisième panneau que vous arrivez au « Magasin Ubuntu », lequel brille par son vide relatif.
Here Maps à gauche. Au centre Magasin Ubuntu. A droite, une page sur les clônes d'Angry Birds
Comme pour WebOS, Bada, Tizen ou Firefox OS, la boutique applicative de cet OS recense un nombre restreint de logiciels et de jeux, dont une partie ne sont pas légitimes. Nous avons par exemple vu plusieurs clones de Flappy Bird, dont deux portant le nom de l'original. Et aucun n'a été posté par son créateur légitime, Dong Nguyen. Et évidemment, aucun outil de benchmark habituel n?était proposé. D'où l'absence de cette rubrique pour ce test.
Le quatrième panneau s'appelle « Actualités ». Comme son nom l'indique, il propose une sélection d'actualité en provenance de sources d'informations installées sur le mobile. En bon espagnol, bq a pris soin d'y proposer certains des principaux médias ibériques (Cinco Dias, El Jueves, El Pais), ainsi que quelques sources technophiles (Engadget et CNet). Pour Le Monde, Libération, Les Échos, iTele, TF1 ou Europe 1, L?Équipe, il faudra repasser.
Les trois derniers panneaux d'aujourd?hui concernent respectivement la musique, la vidéo et la photo. Pour chacun de ces trois domaines, vous avez le choix des sources pour acheter ou accéder à des contenus : 7digital, Soundcloud, Grooveshark (qui vient de disparaître), YouTube, Vimeo et Flikr. Vos comptes sur les réseaux sociaux (Twitter, Instagram, Facebook) sont pris en charge.
Panneaux musique et photos. A droite, la galerie photo.
Notez qu'un menu de gestion de ses panneaux existe. Il est accessible en glissant le doigt du bas de l?écran vers le haut. Vous arrivez à une liste des panneaux installés et de ceux disponibles. Grâce à elle, il est possible d'ajouter ou de retirer des panneaux (même « Aujourd?hui »). Tous ceux cités plus haut sont concernés sauf un, « Applications », qui est le seul qui n'est pas désactivable. Vous retrouvez dans ces panneaux disponibles certaines applications préinstallées (réseaux sociaux, sources d'informations, boutiques de commerce en ligne, etc.), mais également d'autres panneaux thématiques : shopping, activité sportive, messagerie, etc. C'est grâce à ce menu que vous personnaliserez votre mobile, même si visuellement l'interface ne change pas beaucoup.
Une gestuelle sans aucune touche de navigation
À l'arrivée dans Ubuntu Touch, l?OS vous explique les trois mouvements importants à connaître qui consiste à glisser depuis l'une des côtés de l?écran vers le centre. Le premier, en provenance de la droite, sert à accéder au multitâche et à basculer ou fermer une application en cours. Cette opération ressemble à s'y méprendre à celle de WebOS pour ceux qui connaissent (ainsi qu'iOS et Android qui ont repris l'idée), avec le glissement des miniatures vers le haut. La carte aujourd?hui, comme l?Explorateur Windows, ne se ferme jamais.
notification et paramétrage rapide, multitâche et paramètres système
Le second mouvement, en provenance de la gauche, vous ouvre une petite fenêtre latérale pour accéder à des raccourcis ou revenir à Aujourd?hui en touchant l'icône d?Ubuntu. Pour épingler une application, il suffit d'ouvrir celle-ci, d'ouvrir le panneau et de réaliser un appui long sur son icône. Vous avez alors la possibilité de l?épingler, comme sous Windows. Si vous avez beaucoup de raccourcis, ce menu prend en charge le swipe vers le haut ou le bas pour défiler les icônes. Mais puisque vous avez un panneau Application qu'il est impossible de masquer, surcharger ce menu est inutile. D'autant que vous pouvez choisir le panneau des applications comme accueil d'Aujourd?hui (et retrouver ainsi les sensations d'un Android...).
Dernier mouvement du dessus de l?écran vers le bas pour ouvrir un menu qui sert autant de zone de notification que d'accès aux paramétrages rapides. Glissez à gauche et à droite pour accéder aux différents items de cette zone. Le plus intéressant ici est l'accès rapide à la liste des derniers fichiers reçus sur le mobile. Une fonctionnalité qui rappelle d'où vient Ubuntu : du PC.
Accès et configuration de la barre des raccourcis
Des applications légères, mais un OS parfois lourd
Les applications préinstallées sont nombreuses, comme nous l'avons remarqué précédemment, mais parmi elles se trouvent des raccourcis vers des interfaces HTML5 qui ne comptent pas vraiment comme des applications. C'est le cas d'eBay, d'Amazon, de Facebook, de Gmail, de Here Maps ou Twitter. Les applications systèmes sont elles bien légitimes, ainsi que Cut the Rope de Zeptolab, proposé ici en version d'essai. Curieusement, même si l?OS semble assez vide, le tout pèse plus de 2 Go. Sur une mémoire de 6,8 Go disponibles, il n'en reste qu'un peu plus de 4 Go pour l'usager.
Concédons-le, malgré l'exiguïté de la plate-forme de l?Aquaris E4.5, Ubuntu Touch reste relativement fluide, même si les applications et les connexions réseau ont quelques difficultés à se lancer. Pour des applications en HTML5, nous trouvons qu'elles prennent beaucoup de temps à se charger. Sans compter quelques plantages qui ont eu lieu durant le test, notamment avec le clavier tactile. Globalement, l'ensemble conviendra à ceux qui n'ont pas forcément envie de rentrer dans les paramétrages et la personnalisation à outrance de leur mobile, mais qui ont envie de quelque chose de fonctionnel. Il leur faudra aussi se montrer relativement patients avec Ubuntu Touch.
Cut the Rope de Zeptolab
Un mobile et un OS qui ne sont pas faits pour le multimédia
D'autant que ce n'est pas pour un usage multimédia que vous souhaiterez acheter ce mobile. Les jeux sont rares et, outre l'excellent Cut the Rope, inintéressants (quand ils ne sont pas des piratages éhontés). Nous sommes évidemment déçus du choix du Dragontrail pour protéger la dalle tactile, car celle-ci offre une moins bonne glisse qu'avec les verres Gorilla. Et donc une moins bonne expérience.
Toujours en multimédia, le smartphone accepte la majorité des formats usuels, avec quelques restrictions au niveau des codecs. Nous n'avons par exemple pas pu lire la moitié des vidéos de notre panel de test. De plus, les vidéos qui ont été acceptées par le lecteur par défaut n'ont pas été instantanément reconnues. Une expérience qui nous rappelle les restrictions si agaçantes d'iOS et de Windows Phone. Et malheureusement, ici, aucune application n'est accessible dans le Magasin Ubuntu pour la remplacer...
Lecteur vidéo
Assez décevant en photo
En photo enfin, nos premiers clichés se sont avérés très décevants. Il faut dire que la pluie s'est invitée durant nos tests, ce qui n'a pas facilité la vie au capteur photo de l?Aquaris E4.5. En fin d'après-midi, le soleil étant revenu, nous avons réalisé une seconde séance photo. Et le résultat s'est trouvé nettement meilleur. Même si les couleurs tirent vers le jaune, offrant une scène qui manque de contraste, l?APN s'en tire mieux que prévu. Cependant, cette seconde séance nous confirme l'une de nos premières impressions : le capteur est incapable de gérer finement la luminosité de la scène : soit c'est noir, soit c'est blanc. La preuve en est : aucun nuage visible dans ce ciel surexposé tandis que la vitrine du magasin en contrebas est plongée dans le noir. Sur la photo de droite, c'est encore plus flagrant : l'immeuble juste en face se retrouve obscurci afin de contrebalancer la luminosité des nuages qui sont enfin dessinés.
Photos prise avec le bq Aquaris E4.5 Ubuntu Edition
Et que dire de l'interface photo, laquelle ne comprend aucun paramétrage (non, l'activation du flash, du HDR, du positionnement géographique ou du retardateur ne peut pas être considéré comme un paramètre) ? Une grille de niveau, seule excentricité, est proposée. Elle sert à cadrer les photos, si vous avez du mal avec l?horizontal. Ça peut servir. Nous aurions aimé avoir un peu plus de précisions dans les réglages pour contrebalancer les défauts du capteur et du processeur d'image.
Interface photo minimaliste
Un smartphone et un OS qui ne sont pas au niveau
En conclusion, ce premier contact avec Ubuntu Touch est doublement décevant. D'abord, le système d'exploitation connaît de vraies lourdeurs, aussi bien dans son paramétrage que dans son usage. Oui il y a des ralentissements, malgré une promesse de légèreté qui reste théorique. Non, il n'y a pas assez d'applications pour offrir la même richesse d'utilisation que sur Android. Impossible de le nier, même en se focalisant sur les quelques bonnes idées proposées. Et même en concédant le statut d'application à de simples services Web.
Ensuite, Ubuntu Touch est servi par un smartphone qui ne vaut absolument pas le prix demandé : 170 euros. Les mobiles sous Firefox OS sont moins onéreux et parfois mieux lotis. La concurrence sous Android est largement mieux équipée tout en étant moins chère. Comment les deux partenaires espèrent-ils imposer (ou même proposer) un nouvel OS, aussi intéressant soit-il, avec un tel décalage avec les réalités du marché ?