En octobre dernier, le cabinet-conseil Activate a réalisé une étude très intéressante sur les messageries instantanées et les différences entre les services asiatiques et leurs homologues occidentaux. L'une des conclusions de cette étude était la capacité largement supérieure des messageries chinoises, coréennes et japonaises de monétisation de l'audience : grâce à des services d'échange d'argent ou d'organisation de transport, de commerce en ligne ou encore de divertissement (jeux, vidéo, musique), ces applications génèrent plusieurs dollars de revenus par mois par utilisateur, quand les meilleurs élèves américains et européens parviennent (difficilement) à quelques cents. Soit plus de 100 fois moins pour le meilleur d'entre eux.
Une nébuleuse de la messagerie
Quelques semaines plus tard, le 26 novembre dernier, le magazine high-tech en ligne TechCrunch a réalisé un portrait également très intéressant de WeChat, le service en ligne phare du groupe Tencent. Positionné en troisième position des messageries instantanées au niveau mondial (devant QQ Mobile, également de Tencent, et derrière WhatsApp et Facebook Messenger), mais leader du continent asiatique, avec 600 millions d'utilisateurs, dont 570 millions utilisent le service tous les jours, WeChat est apparu en ligne en 2011 seulement. Le taux de pénétration de WeChat dans les villes chinoises de plus de 10 millions d'habitants dépassent les 90 %.
La journaliste de TechCrunch, qui réside à Hong Kong, raconte qu'à l'époque elle est allée à Shenzhen pour rencontrer un ami qui travaillait justement sur WeChat. En rentrant chez elle, elle installe l'application sur l'iPad de sa mère. Et en quelques instants, cette utilisatrice senior, qui ne sait pas éteindre sa tablette, a tout de suite été capable de prendre en main l'application. C'est la grande force de WeChat.
Incontournable et rentable
L'autre grande force de WeChat est de proposer un ensemble complet de services complémentaires et rémunérateurs. Le groupe Tencent a agrémenté WeChat de plusieurs ersatz d'applications qui existent déjà : échange d'argent, moyen de paiement (via un système de QR Code), organisation de transport privatif (type Uber), centre commercial virtuel avec des corners marchands partenaires, services clients en ligne et interactif, messagerie b-to-b, banques de détail, levée de fonds participative, site de rencontre, recherche d'appartement, recherche d'emploi, etc. Et pas uniquement en Chine, mais aussi aux États unis, en Afrique et en Asie du Sud-Est. Il y a quelques jours, nous évoquions dans nos colonnes WU Connect, une plate-forme d'échange d'argent créée par Western Union. Le premier partenaire de ce service est justement WeChat. Il n'y a pas de mystère.
En multipliant les services payants, WeChat est devenue une plate-forme incontournable, aussi bien en Asie, que dans les zones économiques émergentes, comme l'Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient et l'Afrique. Mais le développement de son audience y dépend aussi de celle de la téléphonie et des smartphones. Dans une étude récente de GfK, ces zones sont aujourd'hui les moteurs de la croissance mondiale du marché des smartphones. Mais la pénétration y est encore faible. Alors l'usage de services payants est encore loin. Alors que dans les pays développés occidentaux, les smartphones sont bien implantés et les messageries instantanées ne monétisent pas leur audience. Ces pays représentent donc un formidable relais de croissance. D'où la question évoquée dans notre titre : serons-nous tous, un jour, des utilisateurs de WeChat.
L'occident : un terrain de conquête ?
Tencent risque cependant de rencontrer trois problèmes majeurs. D'abord, un problème de notoriété. Face à Facebook Messenger, Snapchat, BBM, Hangouts et surtout WhatsApp, leader mondial en audience, WeChat devra imposer sa marque auprès du grand public, voire même de lier des accords commerciaux avec des constructeurs de mobile pour être préembarqué dans leurs téléphones. Ensuite, les messageries instantanées occidentales essaient de monétiser leur audience, mais jusqu'ici sans succès. Elles ont essayé, mais les usagers occidentaux ne sont culturellement pas prêts à passer du statut de consommateur à celui de client. Surtout quand le service se revendique gratuit.
Enfin, WeChat, comme beaucoup de services chinois (et asiatiques en général), doit adapter ses contenus et ses produits pour ce public. Certaines marques de smartphones chinoises, Meizu particulièrement (que ce soit avec l'antique MX3, le récent M2 Note, ou le dernier MX5), négligent ce paramètre. Et cela pourrait s'avérer contre-productif. Les industriels asiatiques ont cependant montré à de nombreuses reprises une capacité d'adaptation hors-norme. Il ne serait donc pas étonnant que WeChat parvienne à déjouer tous ces pièges.