Depuis l'arrivée d'Apple Music, chantre du streaming audio payant et chevalier blanc des artistes (même si les premiers échanges entre Taylor Swift et Eddy Cue n'ont pas été très tendres), le monde de la musique semble entrer en croisade contre toutes les formes « d'injustice » financière que les artistes, les compositeurs et les paroliers sont victimes. Nous avons d'ores et déjà évoqué dans nos colonnes le cas Spotify et des artistes qui refusent d'y apporter leurs albums tant que ces derniers sont accessibles par des auditeurs gratuits. Nous avons également suivi le cas de Pandora qui profite d'un flou légal autour de son statut. Mais nous n'avons pas abordé celui de YouTube. Et pourtant, voilà un cas très intéressant.
YouTube Music
Le contexte est celui-ci : YouTube est une plate-forme de libre échange de contenus vidéo sur des thématiques diverses, comme la musique. Chaque utilisateur de YouTube consomme en moyenne une heure de clips musicaux par mois, selon les chiffres officiels de la plate-forme. Un trafic monétisé par la publicité et récemment par des abonnements (YouTube Red et YouTube Music Key) qui a rapporté à l'industrie musicale quelque 3 milliards de dollars depuis que la plate-forme reverse de l'argent aux ayants droit (ce qu'elle n'a pas fait tout de suite).
Un contenu difficile à contrôler
Pour faciliter la gestion du partage des revenus, YouTube a développé un outil appelé Content ID qui, selon la plate-forme, reconnait 99,5 % des contenus musicaux. Nous nous souvenons que Content ID sert également à reconnaitre les séquences vidéo (mais pas uniquement, puisque le jeu vidéo est également concerné). Avec une particularité notable : les chansons diffusées par YouTube ne proviennent pas d'un catalogue classique. Elles sont uploadées par les usagers, des particuliers ou des professionnels. Il peut s'agir d'une reprise filmée dans le salon, de morceaux de concert capturés avec un smartphone, d'un lip dub pour un mariage, d'un film promotionnel pour un nouveau produit, et, bien sûr, de clips en HD enregistrées à la télévision ou sur Internet et partagées pas toujours dans la plus grande légalité.
YouTube n'est donc pas véritablement maître de sa diffusion, même si ses outils sont, en théorie, capables de reconnaître une chanson (à partir du tempo, des notes ou des paroles). Se protégeant derrière le célèbre DMCA (Digital Millenium Copyright Act), qui l'oblige à retirer un contenu piraté, mais ne peut rien contre un contenu « produit » par un fan, la plate-forme a la réputation de laisser-faire. Cependant, elle a signé des contrats avec les maisons de disque qui stipulent le montant partagé, à l'image d'un Spotify, même si l?équilibre n'est certainement pas le même.
Une lettre qui arrive à point nommé
Il y a évidemment un double problème : d'abord, YouTube est incapable pas de contrôler les contenus qui y sont postés (et ne le souhaite certainement pas non plus) et il est presque impossible de savoir quel usage est fait de chaque morceau. Il est donc difficile d?évaluer avec exactitude les sommes à reverser aux ayants droit. D'où la lettre ouverte envoyée au Congrès américain pour une révision de la DMCA telle qu'elle existe aujourd?hui et qui, comme beaucoup de lois (notamment celles qui touchent les contenus multimédias), vieillit certainement très mal face aux progrès technologiques. Parmi les signataires, nous retrouvons Taylor Swift, U2, Paul McCartney, ainsi que les trois principales maisons de disques (Sony, Warner et Universal).
Cette lettre arrive dans un contexte où YouTube serait justement en train de renégocier les contrats d'exploitation des catalogues des majors, ce qui n'est évidemment pas anodin. Il s'agirait, selon des observateurs interrogés par nos confrères de Re/code d'un moyen de pression pur amener YouTube à revoir sa politique, non pas uniquement sur les pourcentages reversés (un peu plus d'argent dans les poches des auteurs-compositeurs est toujours bon à prendre), mais aussi sur les méthodes de contrôle des contenus. Car l'audience générée par YouTube échappe justement à tout contrôle.
Et si YouTube était privé de musique ?
Cette affaire est intéressante, car il ne peut y avoir que deux issues à cette histoire. Soit la plate-forme de streaming se braque, soit elle accepte de placer des verrous dans son système. Dans le premier cas, les artistes demanderont à ce que tous leurs contenus (même postés par des fans) soient retirés. Et les majors seront obligés de suivre cette tendance puisqu'elles ont signé la lettre ouverte. Ce qui sous-entend le retrait de toute musique sur YouTube. Ce qui est incroyable quand on sait que YouTube sert (encore aujourd'hui) à Taylor Swift et consors à promouvoir leur musique...
Dans le second cas, YouTube continuera de diffuser de la musique, mais cela lui rapportera moins d'argent (et plus de souci) et les artistes vivront certainement un peu mieux de leur travail. Peut-on attendre une issue intermédiaire avec un arbitrage du congrès et une réécriture de la DMCA ? Certainement pas à court terme, car en période électorale, le congrès a bien d'autres préoccupations.