Tout savoir sur : Neutralité d’Internet : un premier pas vers son abrogation aux US
C’est une mauvaise nouvelle, même si elle était attendue. La Commission fédérale américaine sur les télécommunications, plus connue derrière l’acronyme FCC, a voté hier, à trois voix contre deux, l’abrogation de la loi de 2015 sur le principe de Neutralité d’Internet. Un vote, grandement soutenu par Ajit Pai, le président de la FCC nommé par l’administration du président des États-Unis Donald Trump.
Netflix est l'un des services les plus concernés par l'abrogation de la Neutralité du Net
Dans un communiqué officiel, la Maison-Blanche se veut cependant rassurante. La porte-parole du gouvernement américain, Sarah Sanders, affirme que « la Maison-Blanche soutient évidemment et soutiendra toujours un Internet libre et juste ». Difficile d’y croire, quand le parti du président défend largement l’abandon de règles établies par l’administration de Barack Obama. Et cela se confirme, puisqu’elle ajoute que la Maison-Blanche soutient le travail de la FCC. Deux déclarations diamétralement opposées, mais éminemment politiques.
La grogne monte
Suite à ce vote, de nombreuses voix se sont élevées pour faire barrage aux conséquences de ce vote qui, à moyen terme, donnerait de nouvelles possibilités aux fournisseurs d’accès à Internet (fixe ou mobile). Le parti démocrate bien sûr, ainsi que ses élus au Sénat ou à la tête des États. Certains mèneront des actions pour contrecarrer ce vote ou l’abroger en faisant appel à la Justice.
Autre voix contre ce vote, es grands producteurs de contenus, dont ceux d’Hollywood. Pour eux, les conséquences potentielles seront considérables (et négatives). Et les firmes du Net, telles que Facebook ou Alphabet. D’ailleurs, le cours de bourse d’Apple, Alphabet et Microsoft a légèrement baissé suite à cette annonce. Les grands consommateurs de bande passante, comme Netflix (qui représente le tiers du trafic Internet aux US entre 20 heures et 23 heures) est dans le viseur.
Un principe d'équité
Pourquoi ce vote est-il important et pourquoi en parlons-nous ici ? Parce que vous utilisez Internet tous les jours sur votre smartphone. Et que les règles pourraient changer si l’abrogation du concept de Neutralité du Net est confirmée et s’étend à d’autres pays. Aujourd’hui, vous achetez un fair use mensuel de 10, 20, 50 ou 100 Go (chez vous, il n’y a même pas de fair use).
Ce quota, vous pouvez l’utiliser pour tout ce que vous désirez : réseaux sociaux, streaming musical ou vidéo, jeu en ligne, partage de connexion, etc. La règle est ici simple : aucun usage et aucun service ne sont privilégiés par rapport à un autre. Un paquet de données en provenance de Netflix ira aussi vite sur le réseau qu’un paquet en provenance de Facebook. Et surtout, l’opérateur n’a pas le droit de le bloquer.
Le retour de Big brother ?
Si la Neutralité du Net est abrogée, cela signifie que cet équilibre n’est plus acquis. Certains usages pourraient être privilégiés. Cela a deux conséquences. D’abord, des filtres pourraient être mis en place pour bloquer ou ralentir certains usages. Et pas seulement parce que vous consommez trop.
Simplement parce que cela ne correspond pas à la politique de votre fournisseur d’accès. Il y a donc un risque même sur l’égalité du surf sur Internet. Certains défenseurs de cette abrogation affirment que cela permettra de mieux identifier les comportements à risque (comme les réseaux pédophiles) et de protéger les Internautes les plus jeunes. Ce n’est pas sûr.
Le retour de la fracture numérique
Seconde conséquence : les fournisseurs d’accès et les opérateurs auront de nouvelles cartes pour prendre l’ascendant sur le consommateur et les producteurs de contenus. D’abord sur les consommateurs. Si les règles de Neutralité du Net sont défaites, ces firmes seront en mesure de proposer des offres incluant des accès spécifiques : Netflix garanti pendant les heures de pointe, dépassement autorisé après un certain quota, etc. Avec à la clé une augmentation et une complexification des forfaits. Voire même un accroissement de la rupture numérique (un comble quand on sait qu’Internet est devenu un droit fondamental).
Ensuite sur les producteurs. Si un opérateur estime que YouTube ou Netflix, par exemple, consomment trop de bande passante, ils pourraient se voir taxer sous peine d’être ralentis auprès de leurs abonnés s’ils ne paient pas. Pourquoi ? Parce que la maintenance du réseau coûte de l’argent aux opérateurs. Et c’est vrai. En outre, la guerre des prix entre les opérateurs a considérablement baissé les revenus générés par un abonnement mensuel. Cependant, si Netflix doit payer une taxe à chaque opérateur pour ne pas subir de ralentissement, combien de temps cela prendra-t-il avant que cela se reflète sur la facture du consommateur ?
Et en France ?
Voilà donc un tableau pas très reluisant. Et en France ? Rien n’est encore fait. Mais à l’Élysée, ses questions agitent beaucoup de monde. Si la Neutralité du Net est protégée par la loi européenne, déclinée dans l’Hexagone par la loi pour une République numérique, et si l’Arcep a comme mission de la faire respecter, il est évident que des changements outre-Atlantique auront un effet bord de notre côté de l’océan. D’autant qu’il n’y a pas que des défenseurs de cette loi : Stéphane Richard, le président d’Orange, soutient son abrogation (logique pour un patron d’opérateur).