Le ton se durcit entre les institutions américaines et chinoises. Et entre les deux, coincés entre le marteau et l’enclume, se trouvent les consommateurs et les marques de smartphones. Huawei notamment qui, pour asseoir sa place dans le Top 3 mondial des constructeurs (voire aller chercher la deuxième place), se doit de passer par les États-Unis, actuellement troisième marché mondial derrière l’Inde et la Chine. Mais plus le temps passe, plus il semble que ce projet soit irréalisable. Et ce n’est pas faute d’en avoir les moyens.
Les agences de renseignement liguées
Nous rapportions déjà cette affaire dans nos colonnes à la fin du mois de janvier. Alors que la firme de Richard Yu avait conclu des accords avec les opérateurs AT&T et Verizon, l’administration du président Donald Trump aurait exercé une forte pression sur ces derniers pour qu’ils abandonnent leur soutien au Mate 10 Pro ou à tout autre modèle de smartphones de la marque. Pourquoi ? Officiellement parce que ses mobiles sont susceptibles d’être des outils d’espionnage en faveur du gouvernement chinois. Pire, toutes les marques chinoises étaient mises dans le même panier, dont ZTE qui est déjà bien installé.
Et cela recommence cette semaine. Selon un article publié par la chaîne d’information CNBC, la commission du Sénat américain en charge du renseignement s’est réunie mardi 13 février. Durant celle-ci, les patrons de six des plus grands agences de renseignement outre-Atlantique, notamment la CIA, le FBI et la NSA, ont unanimement tenu des propos sur « leur méfiance » à propos des smartphones de marque chinoise vis-à-vis de la protection des données personnelles des consommateurs.
Mais de quoi parle-t-on exactement ?
Et ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère. « Nous sommes fortement concernés par le risque que représente le fait d’accepter qu’une entreprise ou une entité, redevable d’un gouvernement étranger qui ne partage pas nos valeurs, gagne une position forte au sein de notre réseau de télécommunication », expliquait Christopher Wray, directeur du FBI durant cette réunion. Et d’y ajouter : « L’accepter offre à cette entité une capacité à faire usage de pression ou de contrôle sur notre infrastructure télécoms. Cela offre une capacité à modifier ou voler des informations. Et cela offre la capacité à exercer un espionnage indétectable ».
Encore une fois, nous pensons que cet avis des agences de renseignement est biaisé par la posture politique du président américain. D’abord, ces déclarations ne séparent pas les activités de Huawei : les activités réseau d’une part (avec la fourniture de matériel pour les infrastructures des opérateurs) et les activités grand public d’autre part, avec les smartphones. Dans le domaine des réseaux, il est clair que le gouvernement américain prône son implication dans le déploiement des réseaux 5G, l’un des grands enjeux économiques et technologiques de demain. Dans le domaine des smartphones, la NSA et la CIA ont prouvé qu’un gouvernement ami est largement capable d’espionner des individus ou des états amis.
Une incompréhension du marché
Il y a aussi une seconde remarque intéressante vis-à-vis de cet avis qui ne semble pas prendre la vraie mesure du marché. Aujourd’hui, une grande majorité des terminaux vendus sur le sol américain est fabriquée en Chine. Il y a Apple bien sûr, même si la firme de Cupertino pourrait rapatrier une partie de sa production aux États-Unis. Il y a Motorola qui appartient aujourd’hui à Lenovo. Il y a BlackBerry, dont les terminaux sont produits depuis un an et demi par TCL. Le même TCL fabrique aussi les mobiles de la marque Alcatel, eux aussi vendus auprès des Américains. Et nous ne parlons pas de Blu Products, marque basée à Miami qui, comme de nombreuses autres marques un peu plus confidentielles, se fournit chez les ODM chinois. Parmi ses ODM, nous retrouvons Wingtech qui fournit LG, Asus et Motorola, entre autres. Bref, le marché américain est inondé par l’industrie chinoise. Peut-être serait-il temps d’ouvrir les yeux ?